mercredi 28 février 2024

À coeur ouvert


Crédit photo: site depositphotos.

Je n’ai jamais connu un hiver aussi doux. Cette année, je n’ai même pas chaussé mes raquettes en raison du manque de neige. C’est une première et sûrement pas une dernière. Sans vouloir être une catastrophiste, il me semble que nous sommes rendus au point de non-retour, car le réchauffement s’accélère à vitesse grand V partout sur notre belle boule bleue. Difficile de ne pas faire d’écho-anxiété.

Parlant de stress, j’ai atteint un pic, lorsque mon chéri s’est fait opérer à cœur ouvert, le 5 février dernier. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais ce fut épique. Ipso facto, vous devrez me pardonner de ne pas en dire plus et d’écrire aujourd'hui sur une banalité. Histoire de me changer un peu les idées pendant sa convalescence.

Ce qui fait que, hier, en début d’après-midi, j’ai revêtu mon éternel manteau recyclé, couleur corbeau, mes bottes trop chaudes et ma légère tuque aux motifs d’empreintes de chats et de chiens, pour aller à la bibliothèque de mon pittoresque village. Le ciel tirait davantage vers un bleu Monet que d’un Van Gogh. Les rayons du soleil m’enveloppaient des pieds à la tête, décidément, j’étais trop habillée ! J’ai toujours eu de la difficulté avec le choix de mes vêtements versus la température. Malheureusement, j’aurai le temps de m’améliorer avec les changements climatiques qui s’amplifieront d’année en année. Bref, je poursuis.

Lorsque mon pied droit, suivi de l’autre, entra dans ce temple de l’imaginaire, j’ai aussitôt remarqué, à ma gauche, une nouvelle bénévole, en formation avec l’abbesse Madame « G ». Nicole par-ci, par-là, mon homonyme semblait l’écouter religieusement.

Après les salutations d’usage, c’est en accrochant mon manteau sur un crochet mural que j’entendis la doyenne dire à la nouvelle :

— L’hiver est terminé ! Fini ! Tant mieux ! Hein ! Aimes-tu ça les chocolats ? T’as pas l’air. Ben, donne-moi-les ! Moi, j’aime ça ! Tantôt, tu devras aller poster une lettre.

Trois sujets dans une même phrase. La doyenne savait aller droit au but, me suis-je dit.

— Chu tu obligé ? ajouta mon homonyme.

— Ben oui ! L’adresse pis même le timbre sont dessus. Là, je te laisse pour continuer ma job en arrière.

— Je fais quoi pendant que t’es pas là ?

— Tu attends le monde ! Y vont ben finir par arriver !

— Ok, ajouta d’une voix timide Madame Nicole.

La doyenne disparue comme l’éclair pendant que je choisissais mes bouquins.

Au bout du compte, mes livres dans les mains, mon homonyme me reçut avec une grande gentillesse lorsque je les lui remis. J’appris même qu’elle avait deux gros chiens. Puis, elle s'arrêta de parler pour glisser son lecteur optique sur le code-barres des trois romans et me remit le relevé, sans le vérifier. Arrivée à la maison, je me suis aperçue qu’un seul livre avait été enregistré. 

J’aurai pu aussitôt appeler, certes, je vous l’accorde. Mais je me suis gardé une petite gêne parce que tout est archi-compliqué avec cette petite bibliothèque et qu'en ce moment, je cherche l'allégement, pas les complications. Je les ramènerai, simplement, à la date prévue, c’est tout. 

Que va-t-il se passer la prochaine fois ? À suivre. Qui sait.

P-S En passant, L’étrange voyage de Monsieur Daldry de Marc Levy est captivant ! 

Autre P-S important: Un immense merci aux cardiologues de l'Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ) d'avoir sauvé la vie de mon chéri ! Vous êtes des héros ! Rien de moins ! 

jeudi 15 février 2024

Choisir ses combats

 


Il y a deux semaines, un mardi, sous un beau ciel bleu hivernal, je suis arrivée à la bibliothèque de mon pittoresque village avec la broue dans le toupet et dans mes mains, trois gros romans. Cette fois-ci, je n’ai pas enlevé mon manteau noir, celui recyclé en plume d’oie, ni mes bottes. Je voulais faire vite parce que mon chien était dans sa cage pour deux heures. Le pauvre souffre d’une encombrante anxiété de séparation. Ne me dites pas que j’ai trop tardé à le laisser seul, je le sais ! Alors, où en étais-je ? Ah ! Oui ! La bibliothèque ! Je poursuis.

À ma vue, Gertrude, Germaine et Ghislaine, les trois bénévoles que j’appelle affectueusement les trois « G », s’immortalisèrent, transformées en statues de sel, derrière leur long comptoir embourbé de livres. Dès lors, je me suis entendue penser : « Il me semble que je vais avoir des problèmes… Je veux juste garder “Skida Marink”, roman du prolifique auteur Guillaume Musso pour le terminer et leur remettre les deux autres ». Malgré mon doute, je me suis lancée :

— Bonjour mesdames, je vais renouveler seulement : « Skida Marink » de Musso. Je vous redonne ces deux-là que j’ai fini de lire. Je vais donc m’en chercher d’autres et je vous reviens.

— Allez ! m’ont-elles chanté en cœur, pendant que l’une d’elles se dirigea dans la section des nouveautés. 

La plus minuscule des ladies « G » plaça mes trois emprunts sur une montagne de livres, en les mélangeant avec les autres. « Je vais avoir des problèmes, c’est certain ! », me suis-je dit, la gorge légèrement serrée, le cœur battant, en sillonnant le premier rayon de bouquins. Après cinq minutes, j’ai joint : Les soigneuses de l’autrice, Nicole Villeneuve, juste pour l’époque, l’année 1940 et La symphonie des monstres de Marc Lévy, parce qu’il a une belle plume et le don de ficeler adroitement ses histoires.

La lilliputienne dame « G » s’est mis à pitonner sur son clavier, ajoutant :

— Voyons, ça ne fonctionne pas ! Voyons… Lequel livre déjà ?

Comme je l'observais chercher le bon bouquin que j’avais décidé de garder, j’eus pitié et je refis le perroquet avec un ton en dentelle et une voix de miel. Il me sembla qu’elle écoutait juste d’une oreille.

— Bon, bon, non. Bon… C’est correct, ajouta-t-elle.

Après quelques secondes d’un long silence, je l’entendis préciser :

— Mais je ne suis pas capable de vous donner le petit relevé, je vous l’imprime sur une grande feuille. Elle se leva promptement, sans me regarder.

— Pas de problème, ai-je répondu.

Aux pas de souris, elle revint me remettre la feuille, format lettre, la déposant sur le comptoir et retourna s’asseoir à sa chaise, le regard fixant son écran. Je n’existais plus. Je n’ai pu m’empêcher de vérifier.

— Madame, les dates du retour de mes emprunts sont différentes et les livres que je vous ai rendus n’ont pas été enlevés. Ils sont encore indiqués : renouvelés.

— Pas grave, me lança-t-elle, les yeux comme des revolvers.

— Non, mais, je pars avec trois livres et sur votre papier, c’est écrit cinq ! Ça ne fonctionne pas votre affaire !

— Bon, bon, bon, dit l’autre madame « G », celle élancée comme un céleri, qui avait suivi la conversation légèrement en retrait.

Elle fit quelques pas pour atteindre le comptoir où se trouvait la grande feuille et avec un stylo, traça un gros X sur les titres des livres que je lui mentionnais. Ensuite, elle modifia certaines dates de retour.

— Voilà, c’est fait ! s’exclama-t-elle.

— Mesdames, pourriez-vous corriger ces informations à l’ordinateur et me remettre un nouveau papier ?

— Oui, pour la correction. Non, pour vous en imprimer un autre, marmonna dame lilliputienne.

— Voyons, je ne vais pas partir avec un relevé indiquant encore cinq livres, quand, dans mes mains, j’en ai trois !

Dès lors, lilliputienne madame « G », bien installée sur son trône de fer, regarda sa complice, madame « G », l’élancée, qui, elle, avec un regard de loup affamé, me dévisagea, en ajoutant :

— Vous n’aurez pas un autre relevé. Celui que vous avez est suffisant ! Tout est correct dans notre logiciel.

Mon exaspération me parut une éternité, j’ai finalement répondu :

— Puis-je aller voir votre écran ?

— Venez ! dirent-elles, les bras croisés.

Ce que je fis. Et tout me sembla parfait.

— Alors, si je comprends bien, ce qui importe, c’est votre écran, pas mon papier ! ai-je conclu.

— C’est ça ! s’esclaffèrent les jumelles « G ».

— Alors merci mesdames ! dis-je, en abandonnant le relevé erroné sur le comptoir.

J’avais d’autres chats à fouetter. Toutefois, si un jour, je fais du bénévolat, je vous annonce que ça ne sera pas à la bibliothèque ! Et la morale de l’histoire : On ne s’obstine jamais avec de telles ladies ! Peine perdue, leçon apprise. À suivre...

dimanche 28 janvier 2024

La foi d'Éric-Emmanuel Schmitt


                                                             Crédits : ©Antoine DOYEN/Opale/

Je suis assise devant mon portable à la table de la cuisine, ce meuble ordinaire qui détient une valeur sentimentale extraordinaire. Je me gave d’entrevues en boucles d’Éric-Emmanuel Schmitt sur You Tube. À ma droite, un verre de vin blanc décante. En face de moi, l’amour de ma vie apprête pâtes et pétoncles. Vadrouille, mon énorme chien (faux, il est petit et ne porte pas ce prénom), est couché sur mes vieilles sandales Crocs grugées par sa dentition (vrai).

Monsieur Schmitt, grand philosophe à la Didelot et aux 25 millions de livres vendus, raconte sa visite sur la Terre sainte à la demande du pape François. Ses connaissances, son intelligence, son authenticité, sa vulnérabilité me touchent droit au cœur. Je me sermonne en me ramenant les deux pieds sur terre. « Il a beau être un érudit, il n’est pas si différent de ce que nous sommes », pensé-je. Mais je ne me crois pas. Comment fait-il pour vivre normalement ? Peut-être avons-nous les mêmes doutes, les mêmes peurs ? De mon côté, je suis une fourmi charpentière, une exploratrice aux délicates antennes arquées, à la recherche d’une parcelle de la sagesse et du talent de cet homme. Je me contente de ce que je suis, sans juger mes limites. J’y arrive très bien.

Pendant que je goûte au délicieux nectar italien qui sommeille dans une coupe Riedel, je me laisse griser par son témoignage. Un peu comme si j’étais invitée à une soirée et qu’il daignait me parler (OMG ! ). Je demeure ébahie de ce qu’il partage, de ses connaissances, de son analyse. Sa foi me dépasse, l’homme aussi. Il semble avoir tout compris. « La grâce se dévoile souvent à nous. Il vaut mieux se construire sur des éblouissements que sur des effacements », dit-il, devant un Stéphane Bureau stoïque. Comment a-t-il fait pour garder de la contenance face à une telle vérité ?

Je n’ai pas besoin de la religion, j’ai juste soif d’humains qui m’élèvent lorsque je les écoute, peu importe ce que la personne est, ou ce qu’elle fait dans la vie. Eric-Emmanuel Schmitt est l’un d’eux. Pourrions-nous le cloner pour les générations futures ?

Le repas est prêt. Que demander de plus ? Sa foi peut-être.

lundi 22 janvier 2024

Coup de coeur

 

                                                                 Crédit image: Freepik

En attente de l’évaluation de mon manuscrit par mon agent littéraire, j’occupe mon temps à la recherche d’informations pour mon deuxième roman, qui se passera fort possiblement au Saguenay pendant la guerre 39-45. Je ne sais pas trop ce que je vais garder ou supprimer, mais ces fouilles m’amènent à trouver de véritables petits trésors. En voici l’un d’eux : le transfert des avoirs et richesses de la Grande-Bretagne et de la Pologne au Canada. Je vous entends penser : « Ça va être plate, j’arrête là ! », et bien, poursuivez, car vous risquez d’être surpris !

En mai 1939, lors de la visite du roi Georges VI, soit quatre mois avant le déclenchement de la Seconde Guerre, le navire militaire royal transporta, en plus des souverains, des lingots d’or pour qu’ils soient entreposés à la Banque du Canada. Secundo, en 1940, pendant « l’Opération Fish », 2 000 caisses de documents, certificats d’actions, valeurs immobilières et lingots d’or ont été acheminés à Montréal et à Ottawa. L’opération était risquée puisque 40 % des navires marchands furent coulés dans l’Atlantique. Au Québec, le lieu secret était : l’édifice Sun Life à Montréal. Attachez votre tuque, 6 000 personnes ont participé à cette opération. Le retour des avoirs en Grande-Bretagne a eu lieu en 1945.

Après la guerre, en raison de l’occupation soviétique en Pologne, les trésors polonais du château de Wawel à Cracovie (collection de tapisseries, épée médiévale du couronnement de 1320 à 1764 et richesses de plusieurs familles) furent cachés au Canada pendant 20 ans. La cerise sur le sundae, c’est qu’ils ont séjourné très longtemps dans la ville de Québec, plus précisément au Monastère des Augustines puis au Musée des Beaux-Arts de Québec (MNBAQ). C’est Maurice Duplessis, premier ministre du Québec de l’époque qui se chargea de les protéger, jusqu’à leur retour au château de Wawel, le 2 janvier 1961. 

Je vous suggère donc d’écouter sur TV5Unis ou Tou.TV Extra, les fascinants documentaires, des saisons 1 et 2 de : 39-45 en sol canadien. Vous y ferez une multitude de belles découvertes ! C’est mon coup de cœur du début d’année ! Au bout du compte, vous avez lu jusqu’à la fin ! Et puis ?

Ciao !

                                     Château de Wawel à Cracovie. Crédit photo: site Pixabay

 

 

samedi 20 janvier 2024

L'espionne et les trois G

 


J’ai presque toujours acheté mes livres en librairie parce que j’écrivais dedans et que je prenais tout le temps nécessaire pour les lire, et ce, sans me soucier d’une date de retour. Toutefois, mon budget, lui, ratatinait à vue d’œil. J’en gardais très peu puisque j’aimais les donner à mes amis ou dans des boîtes à livres. Les bouquins devaient voyager. Depuis mon déménagement dans un beau et pittoresque petit village situé sur la Côte-de-Beaupré, je les consomme différemment, précisément comme une boulimique qui n’a plus de fond. C’est l’avantage d’être à la retraite ! Le temps nous appartient ! Mes emprunts se font à la minuscule bibliothèque municipale, qui est loin d’être une caserne d’Ali Baba littéraire ! Les vieux bouquins se mélangent avec quelques nouveautés, mais cela me convient. Je m’y pointe toujours le bout du nez, les mardis à 13 heures, aux trois semaines. On ne se bouscule pas au portillon. Ce qui fait que, seule, j’assisterai peut-être à un spectacle inédit.

À l’entrée de ce haut lieu de l’imaginaire, j’y retrouve toujours les trois gentilles bénévoles aux cheveux poivre et sel et aux personnalités flamboyantes. L’une d’elles arbore même une mèche rougeâtre sur le côté droit de sa courte chevelure. Dans mon monde de licorne, c’est la délinquante du trio ! Elles ne le savent pas, mais je les espionne ! Je les ai baptisées, les trois G : Gertrude, Germaine et Gilberte. Ces ladies, à l’âme volontaire, me semblent avoir de l’énergie à revendre tout autant qu’un grand cœur. Mais pourquoi parlent-elles si fort et ne classent-elles pas les livres aux bons endroits ? me suis-je souvent demandé. En sourdine, comme une étudiante du Conservatoire d’art dramatique de Québec, je glisse ma main gauche sur les rayons remplis de bouquins, et j’avance très doucement, en écoutant leurs conversations. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis toujours la seule qui assiste à leurs représentations. Suis-je l’unique retraitée assoiffée de lecture au village ? Bof, tant pis pour les absents, ils manquent quelque chose !

— Gertrude, as-tu réussi à avoir la prescription de ton médecin ? se demanda Germaine, debout derrière le comptoir, les bras croisés.

— Oui, pis, je te dis que le gouvernement nous fourre ! Le médecin a ajouté à mon ordonnance des Tylenol, mais on paye cinq dollars de plus en pharmacie que chez Walmart en vente libre ! Je te dis qu’y faut être à notre affaire !

— Ben, je le savais que les Tylenol étaient moins chers chez Walmart ! C’est moi qui te l’avais dit ! Tu ne t’en souviens pas ?

Gertrude haussa les épaules et changea de sujet abruptement.

— J’ai apporté de la soupe aux gourganes pour tantôt, y viennent de l’habitant, pas de l’épicerie. Elles sont bonnes comme dans Charlevoix.

— Ça goûte quoi ? demanda Germaine, encore debout, mais cette fois-ci, elle empilait les livres, l’un par-dessus l’autre, en petites piles.

— Des gourganes, Germaine, ben, ça goûte… Des gourganes, s’t’affaire !

Les trois Miladys s’esclaffèrent en cœur. Elles semblaient s’aimer.

— La semaine prochaine, je t’en amènerai un pot ! Tu pourras y goûter ! Bon, je vais aller étiqueter les nouveaux arrivages, précisa-t-elle.

— Avez-vous trouvé le bouquin de Madame Verreault ? questionna Ghislaine, qui semblait désactiver le code-barre d’un livre avec un lecteur.

— Non, je pense qu’il est mal classé, encore… Pourtant, les lettres de la codification sont grosses ! répondit Germaine de sa voix aiguë.

Gertrude ne dit mot. Était-elle la coupable ? Pensé-je, en me cachant la tête entre deux espaces vides d’une étagère.

— Avez-vous acheté votre billet « Célébration » ? renchérit Germaine.

— Non, trop cher ! dit Gertrude

— Moi non plus, mais c’était quand même un beau spectacle à la télé ! ajouta l’autre.

— Moi, demain, je vais souper au restaurant Sagamité à Wendake. J’ai hâte ! J’ai eu une invitation ! C’est un restaurant gastronomique, vraiment spécial, mais c’est loin Wendake !

Mais qui avait dit cela ? Laquelle des trois ?

— Wendake ! C’est loin en p’tit péché ! Renchéris l’une d’elles.

C’est à ce moment précis que j’ai arrêté de les écouter et que mes doigts ont continué à effleurer, regarder, reclasser certains livres mal rangés, à lire des petits bouts de phrases de différents auteurs, pour finalement sélectionner quatre livres, même si je savais que la limite était de trois. Par la suite, j’ai remis mes grosses bottes, mon lourd manteau, mon bonnet avec un pompon en fourrure et c’est au comptoir avec mes précieux volumes que j’ai demandé à Lady Ghislaine :

— Je sais que nous avons le droit à trois livres, mais je suis une gloutonne… Puis-je en prendre quatre ?

— Ben, certainement, M’dame ! Pas de problème ! dit-elle gentiment, sourire aux lèvres, lecteur code-barre en main.

— Merci beaucoup et bonne année ! Je vous souhaite de la santé !

— Vous aussi ! Vous aussi !

J’aime ces Miladys. Elles sont spectaculaires dans leur unicité.

Mais qui classe mal les livres ? Est-ce que Germaine a apprécié la soupe aux gourganes de Gertrude ? Comment s’est déroulé le souper à Wendake ?  

À suivre. Peut-être ou peut-être pas…

lundi 15 janvier 2024

Bifurquer vers hier

 


Édith était allongée sur le confortable divan de couleur crème fouettée de son salon. Celui qu’elle préférait. Elle caressait son chien, qui, couché sur ses cuisses, lui semblait heureux. L’était-il vraiment ? Elle l’espérait. La grande douceur des poils blanchâtres de Gustave, son Mini-Cockapoo de dix mois, lui faisait penser au manteau de fourrure noir de sa grand-mère Amélia, provenant d’un animal quelconque dont elle ne se souvenait plus. Il y avait aussi celui de sa mère, en opossum, tirant sur un gris plus ou moins sombre qui lui revenait en mémoire. « Mais n’était-il pas moins doux ? », s’interrogeait-elle, en constatant qu’un chapeau de la même fourrure terminait toujours l’ensemble comme un impressionnant diastème.

Il y a longtemps, très longtemps, pendant qu’une température glaciale et hivernale s’imposait, les deux femmes s'étaient enveloppées dans leur richesse avec la fierté démesurée d’une Élizabeth Taylor défilant en robe d’apparat à la soirée des Oscars. Quel souvenir mémorable ! Il était évident qu’elles ne touchaient plus terre même si elles savaient qu’une bonne dose de parcimonie était essentielle pour ne pas user leurs préciosités. Il fallait donc un grand événement, une fête importante, la messe du dimanche à l’église pour qu’elles s’en revêtissent. Rares étaient les dérogations à ce principe qu’elles s’infligeaient.

Graduellement, Édith poussa avec délicatesse Gustave de son lieu de repos pour se diriger vers la table de la cuisine où son portable en état de veille l’attendait. Le petit chien, chassé de son confort, alla s’abreuver d’eau sans lui en tenir rigueur. De sa main droite, Édith souleva un peu l’écran vers le haut, puis s’assit pour un face-à-face avec elle-même. Elle pitonna de manière mécanique et rapide puisqu’une idée avait surgi dans sa tête, une sorte de bulle au cerveau. Avec ses longs doigts sur le clavier noir aux touches blanches, elle pianota doucement l’alphabet, qui devint des mots, puis des phrases. Elle se laissa donc emporter par l’inspiration du moment. Édith écrivait comme elle respirait. Elle composait d’interminables paragraphes même la nuit dans son sommeil, en souhaitant très fort s’en souvenir au petit matin. Ce qui n’arrivait jamais.

Dans son enfance, la fillette des années 70 aux longs cheveux bruns ondulés et au jeans à pattes d’éléphant enfouissait sa tête dans une montagne de manteaux de fourrure déposés en désordre, l’un par-dessus l’autre, sur un grand lit. Son plaisir ultime était de s’y cacher ! Que ce soit chez ses parents ou ses tantes : les chats sauvages, les visons, les rats musqués se faisaient renifler par ses petites narines aux sons et cris des fêtards ! Elle y décelait les odeurs capiteuses et puissantes du Chanel No 5 et de L’Air du temps de Nina Ricci avec celles moins agréables des cigarettes Mark Ten et du Maurier. Lorsqu’elle relevait la tête, un nuage d’une fumée de nicotine l’enveloppait. L’asthme la poursuivait maintenant. Dans une chambre adjacente parfumée au patchouli épicé, sa sœur et ses cousines écoutaient en boucle : le vinyle des Beatles sur un tourne-disque. Paul McCartney y chantait : « Let it Be ». Autres temps, autres mœurs. « Mais qui porte de nos jours la fourrure d’un animal mort sur son dos ? », s’interrogeait-elle, en frottant ensemble, ses deux pieds bien emmitouflés dans de gros bas de laine sur le plancher flottant d’un brun marbré imitant le bois à la perfection.

Édith leva son menton pendant que ses yeux fixèrent le plafond. Était-elle encore à la recherche de souvenirs ? Un craquement venant du réfrigérateur la ramena sur terre. Sa grand-mère fut longtemps, c’est-à-dire presque toute sa vie, couturière, mais uniquement de manteaux de fourrure. S’étant séparée de son mari au début des années 40 dans un Québec catholique et puritain, elle dut déménager, prendre des pensionnaires et utiliser ses doigts de fée pour nourrir ses 12 enfants. De cette grande coupure qui affecta énormément sa mère, Édith n’en connaissait pas les raisons. Elle s’en voulait encore de ne pas avoir abordé le sujet de leur vivant. Sa Amélia adorée, née en 1886, habita chez ses parents, jusqu’à ce qu’elle atteigne 14 ans. L’histoire ne retiendra rien d’elle et pourtant, en sourdine, de précieuses souvenances s’entremêlent :

·       L’intelligence d’ignorer ses crises (de bacon) de bébé, en dessous de la table de cuisine ;

·   En été, l’écossage de grosses gourganes qui allaient se retrouver dans une succulente soupe et la plantation d’un lilas à l’arrière de la maison ;

·       Écouter avec elle, le Canadien de Montréal et les congrès de partis politiques ;

·     Un dîner de fête pour ses 12 ans, avec pour dessert : un gâteau aux cerises Duncan Hines et 100 sous noirs dans une enveloppe blanchâtre rectangulaire ;

·       À tous les soirs, la préparation d’une ponce chaude de gin avec un soupçon de sucre dans un verre (oui, un verre) ;

·       Des souliers à talons hauts tirés dans une garde-robe ;

·       L’inoubliable odeur d’une teinture bleutée sur une chevelure blanche et de longs ongles laqués.

·     Des siestes en après-midi, collées, l’une contre l’autre dans une énorme douillette lustrée d’un ton vert olive et dans le cœur, tout son amour et bien plus…

Il était si facile pour Édith de revoir la forme ainsi que la couleur noisette des yeux d’Amélia et de l’entendre lui dire : « Mon p’tit bé… ». Des mots écourtés avec l’accent vieillot charlevoisien d’une autre époque que même 48 ans d’absences n’avaient pu effacer. Édith avait la mémoire longue quand le passé superposait le présent. « J’ai tellement été aimée ! », se disait-elle, en fixant l’écran de son portable pendant que Gustave se couchait à ses pieds. Inopinément, ses doigts s’agitèrent sur le clavier et un titre fut tapé : « Bifurquer vers hier ». Vous connaissez la suite.

C’est fou comme les poils d’un chien peuvent l’avoir amenée ailleurs. Édith sera toujours en manque du refuge des bras d’Amélia, malgré ses 62 hivers, et c’est très bien ainsi. Le savoir ne l’empêchera jamais de l’aimer. Ne dit-on pas : L’ennui est au bout de tous les plaisirs (Octave Primez).


P.S. Le vrai prénom de ma grand-mère est Améda (Guérin). Ma soeur Martine est à gauche de la photo et je suis à droite. Pourquoi ai-je modifié les prénoms ? J'y vais instinctivement sans trop réfléchir. :) 

jeudi 4 janvier 2024

Le cafard et Charlotte Cardin


       Crédit photo: Guillaume Arcand

Pendant que la fin d’année 2023 faisait rage, Édith subissait son coup de cafard annuel, celui du temps des fêtes. Était-ce en raison du réchauffement de la planète et des guerres persistantes que ce malotru était revenu ? Heureusement, elle savait par expérience qu’il ne s’éterniserait pas à l’infini et que 2024 allait tout balayer comme d’habitude. Ce n’était pas la pensée magique, c’était cyclique avec une bonne dose quotidienne de kilomètres à pied. Ne totalisant plus le nombre des années depuis belle lurette, elle connaissait indéniablement ce qu’il lui fallait pour trouver la lumière dans son obscurité. « Une surdose de marche me sera nécessaire », se dit-elle en lavant ses mains au lavabo. 

Debout devant son comptoir de cuisine, elle empoigna fermement de sa main gauche un éplucheur à légume pendant que l’autre tenait une grosse carotte, couleur de l’Halloween, loin du rouge et du vert de Noël. Plusieurs fois, elle la déshabilla de haut en bas. L’économe était passé date, pas de poignée ergonomique ni de tête pivotante. Pas grave, elle s’en fichait, il fonctionnait. Six dissemblables carottes étaient allongées sur le vieux et très usé comptoir recouvert d’une céramique défraîchie. Le temps lui avait enlevé son lustre. Elle n’était pas la seule dont la joliesse s’était évanouie. Un sourire narquois se dessina sur ses minces lèvres. Elle prit une grande inspiration et ses épaules se détendirent. La justice existait quelquefois.

Le temps avait passé, couru, les jours, les mois et puis les années. De sa jeunesse, il ne lui restait que ses souvenirs étiolés. Soudainement, elle constata que le rythme moderato de la chanson pop « confetti » de Charlotte Cardin lui faisait du bien. Une sorte d’hymne aux introvertis, ce qu’elle n’était pas, sauf peut-être occasionnellement. En vieillissant, elle n’avait pas souvent le goût d’étaler ses sentiments. Elle était seule à savoir que le sevrage du décès de sa mère s’éternisait ad vitam aeternam. Le temps des fêtes lui ramenait toujours les lourdes absences de ceux et celles disparus à jamais. « Combien de jours encore, ce cafard allait-il persister ? », se demanda-t-elle en fixant l’économe inerte. Sa tête se tourna vers la gauche où une grande fenêtre dévoila d’immenses conifères saupoudrés de neige qui ne réussissaient pas à cacher la longue rivière, celle du nom de son ancêtre. L’eau y glissait sans entrave, insouciant de demain pendant que Charlotte chantait à merveille.

« C’est fou comme la musique a du pouvoir », s’exclama-t-elle en faisant deux pas vers la droite afin de prendre un morceau de carotte et le croquer. Monsieur Gustave, son chien-citron aux rotules endommagées s’étirait de la même manière qu’un chat de gouttière. Comment faisait-il pour dormir sur ce rythme enivrant de la chanson « Pappy » ? La vieille dame se pencha pour lui flatter le dessus de tête et glisser sa main dans son cou. Ce qui le réveilla. Elle se releva et se laissa prendre au jeu, faussa énormément en se dodinant de gauche à droite. Son cœur s’accéléra, elle se sentit mieux. L’économe devint un micro et son cafard prit la poudre d’escampette. Charlotte avait été sa magicienne. Elle se souhaita de nombreux vers d’oreille dans ses futures dormances ainsi que des visites impromptues de personnes disparues. Le rêve serait-il le pont pour rejoindre cet ailleurs mystérieux ? Spotify roula et les mélodies de la jeune femme de 29 ans s’enfilèrent.

Édith fit quelques pas de souris et tourna en rond pour retrouver la laisse de Monsieur Gustave qui se trouvait à sa place habituelle. Elle l’attacha puis décida d’abandonner sa popote et la maisonnée aux bons soins de la chanteuse douée. Elle saisit son long manteau noir, mit ses grosses bottes avec crampons, sa tuque à pompon et ses mitaines en laine avec un petit cœur sur chacune d’elles. Il était l’heure d’aller marcher dehors et de saluer le voisinage. Charlotte continuait à chanter à tue-tête pendant qu'Édith continuait à fredonner. La porte se referma sur son vague à l’âme. Combien de pas seront inscrits sur son podomètre aujourd’hui ? Attraper des bouts de ciel prend du temps. Monsieur Gustave la tira par en avant au même moment qu’un ver d’oreille apparut dans sa tête. C’était peut-être juste cela le bonheur.

PS La musique de Charlotte Cardin est addictive. L’écoute quotidienne peut amener une grave accoutumance. À vos risques et périls, mais bonheur assuré.