mercredi 28 février 2024

À coeur ouvert


Crédit photo: site depositphotos.

Je n’ai jamais connu un hiver aussi doux. Cette année, je n’ai même pas chaussé mes raquettes en raison du manque de neige. C’est une première et sûrement pas une dernière. Sans vouloir être une catastrophiste, il me semble que nous sommes rendus au point de non-retour, car le réchauffement s’accélère à vitesse grand V partout sur notre belle boule bleue. Difficile de ne pas faire d’écho-anxiété.

Parlant de stress, j’ai atteint un pic, lorsque mon chéri s’est fait opérer à cœur ouvert, le 5 février dernier. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais ce fut épique. Ipso facto, vous devrez me pardonner de ne pas en dire plus et d’écrire aujourd'hui sur une banalité. Histoire de me changer un peu les idées pendant sa convalescence.

Ce qui fait que, hier, en début d’après-midi, j’ai revêtu mon éternel manteau recyclé, couleur corbeau, mes bottes trop chaudes et ma légère tuque aux motifs d’empreintes de chats et de chiens, pour aller à la bibliothèque de mon pittoresque village. Le ciel tirait davantage vers un bleu Monet que d’un Van Gogh. Les rayons du soleil m’enveloppaient des pieds à la tête, décidément, j’étais trop habillée ! J’ai toujours eu de la difficulté avec le choix de mes vêtements versus la température. Malheureusement, j’aurai le temps de m’améliorer avec les changements climatiques qui s’amplifieront d’année en année. Bref, je poursuis.

Lorsque mon pied droit, suivi de l’autre, entra dans ce temple de l’imaginaire, j’ai aussitôt remarqué, à ma gauche, une nouvelle bénévole, en formation avec l’abbesse Madame « G ». Nicole par-ci, par-là, mon homonyme semblait l’écouter religieusement.

Après les salutations d’usage, c’est en accrochant mon manteau sur un crochet mural que j’entendis la doyenne dire à la nouvelle :

— L’hiver est terminé ! Fini ! Tant mieux ! Hein ! Aimes-tu ça les chocolats ? T’as pas l’air. Ben, donne-moi-les ! Moi, j’aime ça ! Tantôt, tu devras aller poster une lettre.

Trois sujets dans une même phrase. La doyenne savait aller droit au but, me suis-je dit.

— Chu tu obligé ? ajouta mon homonyme.

— Ben oui ! L’adresse pis même le timbre sont dessus. Là, je te laisse pour continuer ma job en arrière.

— Je fais quoi pendant que t’es pas là ?

— Tu attends le monde ! Y vont ben finir par arriver !

— Ok, ajouta d’une voix timide Madame Nicole.

La doyenne disparue comme l’éclair pendant que je choisissais mes bouquins.

Au bout du compte, mes livres dans les mains, mon homonyme me reçut avec une grande gentillesse lorsque je les lui remis. J’appris même qu’elle avait deux gros chiens. Puis, elle s'arrêta de parler pour glisser son lecteur optique sur le code-barres des trois romans et me remit le relevé, sans le vérifier. Arrivée à la maison, je me suis aperçue qu’un seul livre avait été enregistré. 

J’aurai pu aussitôt appeler, certes, je vous l’accorde. Mais je me suis gardé une petite gêne parce que tout est archi-compliqué avec cette petite bibliothèque et qu'en ce moment, je cherche l'allégement, pas les complications. Je les ramènerai, simplement, à la date prévue, c’est tout. 

Que va-t-il se passer la prochaine fois ? À suivre. Qui sait.

P-S En passant, L’étrange voyage de Monsieur Daldry de Marc Levy est captivant ! 

Autre P-S important: Un immense merci aux cardiologues de l'Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ) d'avoir sauvé la vie de mon chéri ! Vous êtes des héros ! Rien de moins ! 

jeudi 15 février 2024

Choisir ses combats

 


Il y a deux semaines, un mardi, sous un beau ciel bleu hivernal, je suis arrivée à la bibliothèque de mon pittoresque village avec la broue dans le toupet et dans mes mains, trois gros romans. Cette fois-ci, je n’ai pas enlevé mon manteau noir, celui recyclé en plume d’oie, ni mes bottes. Je voulais faire vite parce que mon chien était dans sa cage pour deux heures. Le pauvre souffre d’une encombrante anxiété de séparation. Ne me dites pas que j’ai trop tardé à le laisser seul, je le sais ! Alors, où en étais-je ? Ah ! Oui ! La bibliothèque ! Je poursuis.

À ma vue, Gertrude, Germaine et Ghislaine, les trois bénévoles que j’appelle affectueusement les trois « G », s’immortalisèrent, transformées en statues de sel, derrière leur long comptoir embourbé de livres. Dès lors, je me suis entendue penser : « Il me semble que je vais avoir des problèmes… Je veux juste garder “Skida Marink”, roman du prolifique auteur Guillaume Musso pour le terminer et leur remettre les deux autres ». Malgré mon doute, je me suis lancée :

— Bonjour mesdames, je vais renouveler seulement : « Skida Marink » de Musso. Je vous redonne ces deux-là que j’ai fini de lire. Je vais donc m’en chercher d’autres et je vous reviens.

— Allez ! m’ont-elles chanté en cœur, pendant que l’une d’elles se dirigea dans la section des nouveautés. 

La plus minuscule des ladies « G » plaça mes trois emprunts sur une montagne de livres, en les mélangeant avec les autres. « Je vais avoir des problèmes, c’est certain ! », me suis-je dit, la gorge légèrement serrée, le cœur battant, en sillonnant le premier rayon de bouquins. Après cinq minutes, j’ai joint : Les soigneuses de l’autrice, Nicole Villeneuve, juste pour l’époque, l’année 1940 et La symphonie des monstres de Marc Lévy, parce qu’il a une belle plume et le don de ficeler adroitement ses histoires.

La lilliputienne dame « G » s’est mis à pitonner sur son clavier, ajoutant :

— Voyons, ça ne fonctionne pas ! Voyons… Lequel livre déjà ?

Comme je l'observais chercher le bon bouquin que j’avais décidé de garder, j’eus pitié et je refis le perroquet avec un ton en dentelle et une voix de miel. Il me sembla qu’elle écoutait juste d’une oreille.

— Bon, bon, non. Bon… C’est correct, ajouta-t-elle.

Après quelques secondes d’un long silence, je l’entendis préciser :

— Mais je ne suis pas capable de vous donner le petit relevé, je vous l’imprime sur une grande feuille. Elle se leva promptement, sans me regarder.

— Pas de problème, ai-je répondu.

Aux pas de souris, elle revint me remettre la feuille, format lettre, la déposant sur le comptoir et retourna s’asseoir à sa chaise, le regard fixant son écran. Je n’existais plus. Je n’ai pu m’empêcher de vérifier.

— Madame, les dates du retour de mes emprunts sont différentes et les livres que je vous ai rendus n’ont pas été enlevés. Ils sont encore indiqués : renouvelés.

— Pas grave, me lança-t-elle, les yeux comme des revolvers.

— Non, mais, je pars avec trois livres et sur votre papier, c’est écrit cinq ! Ça ne fonctionne pas votre affaire !

— Bon, bon, bon, dit l’autre madame « G », celle élancée comme un céleri, qui avait suivi la conversation légèrement en retrait.

Elle fit quelques pas pour atteindre le comptoir où se trouvait la grande feuille et avec un stylo, traça un gros X sur les titres des livres que je lui mentionnais. Ensuite, elle modifia certaines dates de retour.

— Voilà, c’est fait ! s’exclama-t-elle.

— Mesdames, pourriez-vous corriger ces informations à l’ordinateur et me remettre un nouveau papier ?

— Oui, pour la correction. Non, pour vous en imprimer un autre, marmonna dame lilliputienne.

— Voyons, je ne vais pas partir avec un relevé indiquant encore cinq livres, quand, dans mes mains, j’en ai trois !

Dès lors, lilliputienne madame « G », bien installée sur son trône de fer, regarda sa complice, madame « G », l’élancée, qui, elle, avec un regard de loup affamé, me dévisagea, en ajoutant :

— Vous n’aurez pas un autre relevé. Celui que vous avez est suffisant ! Tout est correct dans notre logiciel.

Mon exaspération me parut une éternité, j’ai finalement répondu :

— Puis-je aller voir votre écran ?

— Venez ! dirent-elles, les bras croisés.

Ce que je fis. Et tout me sembla parfait.

— Alors, si je comprends bien, ce qui importe, c’est votre écran, pas mon papier ! ai-je conclu.

— C’est ça ! s’esclaffèrent les jumelles « G ».

— Alors merci mesdames ! dis-je, en abandonnant le relevé erroné sur le comptoir.

J’avais d’autres chats à fouetter. Toutefois, si un jour, je fais du bénévolat, je vous annonce que ça ne sera pas à la bibliothèque ! Et la morale de l’histoire : On ne s’obstine jamais avec de telles ladies ! Peine perdue, leçon apprise. À suivre...