samedi 3 mai 2025

Tout s'efface


Crédit photo: Sabinevanerp (Pixabay)

Je suis en pleine écriture de mon deuxième roman, mais des fois, j'écris autre chose comme cette nouvelle. Son sujet me tient à cœur. En sera-t-il de même pour vous ? Enfin, je le souhaite. Je ne vous en dis pas davantage. Bonne lecture ! :) 


Rosa-Rose était assise sur son petit lit rectangulaire. Elle avait bien pris soin d’allonger ses jambes et de défroisser sa longue jupe blanche, celle agrémentée de pétales bleus blafards. Elle avait mis son chandail jaune, semblable au soleil. Il s’harmonisait à merveille avec celui qu’elle ne voyait pas souvent. Ses orteils et ses pieds emmitouflés dans des bas en laine rouge et gris se frottaient l’un contre l’autre. Deux oreillers soutenaient son dos et sa tête malgré l’ajustement de l’angle du dossier. Elle appréciait le confort de cette position, en dépit de l’odeur persistante de légumes cuits dans cette petite chambre beige pâle comme un glaçage au beurre. Un grand rideau vert pomme jouait à cache-cache avec la fenêtre et la ventilation, laissant entrevoir une faible luminosité. Si l’on regardait à droite, un lavabo et son tuyau métallique trônaient, tout près d’une chaise brune en semi-cuirette. L’endroit n’était pas coquet.  

Rosa-Rose fixait ses longs ongles, mal laqués d’un vernis rouge cerise, rouge comme un lumignon. Ses mains étaient belles. Pas de veines ni de tâches de vieillesse. De toute façon, selon elle, à 30 ans, c’était trop tôt pour en avoir. 

Dans son for intérieur, cette journée allait être différente, même, peut-être belle. Puisque Anaïs, la charmante infirmière du département, lui avait annoncé, très tôt en matinée, qu’aujourd’hui, allait une journée spéciale. Puisque c’était son anniversaire ! Ses parents viendront-ils la visiter ? Qui d’autres encore ? « Aucune idée… », pensa-t-elle. Rosa-Rose savait qu’elle avait eu un grave accident, mais gardait l’espoir de s’en sortir. Elle le souhaitait si fort, tellement qu’elle le demandait trop souvent au corps médical. Qui, lui, répétait, répétait, répétait, tout ce qu’elle ne voulait pas croire, tout ce qu’elle ne voulait pas entendre, tout ce dont elle ne voulait pas se souvenir. 

Le grincement de la porte se fit entendre et Rosa-Rose tourna sa tête vers la droite. Une belle jeune trentenaire, avec un gros bouquet de fleurs dans les mains, entra dans sa chambre. « Bizarre, elle me ressemble », se dit-elle. « Est-elle ma jumelle ? Une amie lointaine ? Une nouvelle préposée ? Elle ne savait plus. « Maudit accident ! », affirma-t-elle d’une voix forte, en ramenant derrière son oreille, une mèche rebelle de cheveux. 

— Bonjour Rosa-Rose ! Bonne fête ! 

La jeune femme semblait si bien la connaître qu’elle ne bougea pas d’un iota lorsqu’un baiser se déposa sur sa joue. 

Rosa-Rose ne put que marmonner un « bonjour », peu articulé. Puis, elle se reprit et ajouta :

— Oui… J’ai 30 ans aujourd’hui ! Quand pensez-vous que je pourrai sortir d’ici ? Ce n’est pas un endroit pour une personne comme moi ! Je suis enseignante, vous savez. J’ai des responsabilités. Et puis, ici, c’est si triste. J’entends des malades crier à l’aide ! C’est sûrement parce qu’il n’y a plus de place à l’hôtel-Dieu de Chicoutimi que je suis atterri là ! C’est un endroit qui peut donner des idées noires, j’vous dis !  

Rosa-Rose poursuivi en fronçant ses sourcils. 

— Vous n’allez pas pleurer quand même ! Ce n’est pas vous qui êtes prise dans cette prison, c’est moi, ma chère ! Ne restez pas debout comme un piquet, le pot de fleurs est près du lavabo et venez me rejoindre pour me faire la jasette un peu. Serions-nous des amies ? Vous ne le savez pas ? Bon, j’ai eu un grave accident. Ma mémoire me fait défaut. J’oublie les mots, moi, qui les aime tant ! 

— Oui, on me l’a dit. 

Le silence recouvra le silence. 

Et tout d’un coup, Rosa-Rose ne put s’empêcher de demander :

— Pensez-vous que je pourrai aller voir bientôt un match des Saguenéens au Centre Georges-Vézina ou même des Nordiques à Québec ? Qu’est-ce qui arrive avec le référendum ? 

¬— Je n’en sais rien. 

— Est-ce que mes cheveux sont corrects ? Je ne trouve aucun miroir dans le coin ! J’viens de Chicoutimi, moi, je suis fière !

Alors, deux grands éclats de rire se firent entendre. On aurait dit que le bonheur poussait sur le malheur et voulait prendre toute la place. 

— Vous êtes bien gentille, chère amie, mais j’ai un petit creux. Pourriez-vous aller me chercher quelque chose à grignoter dans la cuisine ? 

— Bien sûr, évidemment ! Une fête sans sucreries n’est pas une fête ! Je vais te chercher ça. 

La vouvoyer, elle n’y arrivait pas. 

De son côté, Rosa-Rose était orgueilleuse. Elle ne désirait pas demander comment s’appelait la jeune femme. Il n’en était pas question. Elle attrapa le sac à main qui trainait sur le coin du lit, fit glisser la glissière et trouva un portefeuille rempli de cartes de toutes sortes. Le permis de conduire indiquait le nom de : Diane Côté. Ce qui ne lui dit rien. Elle remit tout en place et répéta dans sa tête pour s’en souvenir : « Diane, Diane, Diane ». 

Le même grincement de la porte se fit entendre. Diane Côté tenait fermement dans ses mains, une assiette blanche avec un gros muffin au chocolat dessus. Une petite chandelle rose y était allumée. 

Les yeux de Rosa-Rose s’écarquillèrent d’émerveillement. 

— Serait-ce ma fête, aujourd’hui ? 

Les larmes aux yeux de Diane coulaient sur son visage. Elle ne put que hocher la tête, en lui demandant de souffler sur la chandelle. Ce qu’elle fit.

Puis, l’après-midi passa vite pour l’une et lentement pour l’autre. Lorsque Diane Côté sortie de la chambre pour poursuivre sa vie, elle longea un long corridor et dut faire un code pour s’en échapper. Chaque chiffre lui brulait les doigts. Le cœur en compote, elle pleura silencieusement sa peine. C’est lorsqu’elle respira une grande bouffée d’air qu’elle se sentit un peu mieux. Comment allait-elle supporter l’insupportable ? 

Rosa-Rose, elle, avait déjà oublié Diane Côté, sa fille n’avait jamais existé.


1 commentaire:

Anonyme a dit...

Je suis en pleine lecture de votre roman Elle avait aimé. Je le commence à peine et le côté historique est déjà très intéressant. J’ai hâte de savoir ce qui arrivera à Alexandrienne.
La nouvelle que je viens de lire m’a beaucoup émue. C’est bien écrit bravo à vous. Edith Huot