lundi 12 mars 2018

La chambre à quatre lits




Sur son lit d’hôpital, le C, son corps s’affaiblit de jour en jour.  Son cerveau, lui, fonctionne toujours aussi bien.  Le cancer a frappé son ventre comme une hache qui fend une bûche de bois.  Elle ouvre ses yeux pour observer les autres patients qui l’entourent.  Ils changent, s’embellissent, s’affaiblissent, s’enlaidissent et même disparaissent pour un autre endroit. Allez savoir où.  Elle ne veut pas aller dans une chambre privée.  Elle veut voir de la vie. Le peu est précieux à qui ne reste que presque rien.

Comme les temps changent, les visites sont permises en tout temps.  Les visiteurs semblent remplacer le manque de préposés aux bénéficiaires parce que les vrais sont débordés.

Lit D
-Pouvez-vous m’aider ?
-Pourriez-vous me dire qu’est-ce que je fais ici ?
-Mon mari va venir me chercher.
-Comment vous dois-je ? Mon mari va venir payer la facture.

Madame Beaulieu, qui comme elle dit : a l’âme à la tendresse, chante sa ritournelle aux dix minutes et feuillette encore et encore ses beaux souvenirs collés ou écrits sur son petit cahier Canada.  Une réalisation de sa fille Diane. Comme c'est bien pensé ! 

Lit A
-Je n’ai peur de personne.
-J’ai 6 frères vous savez.
Madame Aline est plus rock and roll.  Avec ses deux doigts en moins, elle adore se coucher sur le lit des autres et confisquer lunettes, pantoufles, revues.  De temps en temps, elle crache fortement sur le plancher pour faire disparaître une tâche.  Elle parle à tout le monde en faisant de gros yeux méchants et donne des coups de poing aux visiteurs masculins sur son passage. Elle vient tout juste d’être relocalisée.  Son départ dans un CHSLD a attristé les infirmières, mais a réjoui les bénéficiaires.

L’Alzheimer (démence) est omniprésente et tisse sa toile sans ménagement.  On ne s’ennuie pas avec ces malades.  Elle est bien contente d’avoir toute sa tête encore même si son corps flanche trop vite à son goût.

Alors M. Villeneuve a donc remplacé Madame Aline.  Il passe ses journées avec un drap sur la tête et s’obstine à uriner à son lit sans tirer son rideau surtout pendant les heures de repas.  Les hommes et les femmes sont mélangés dans les chambres.  Et swingnez votre compagnie !

Lit B
Il y a tout de même de belles surprises comme M. Tremblay, ancien infirmier, qui supervise, informe et sécurise un peu tout le monde.  Il dort dans une grosse chaise en raison de son hernie discale.

L’hôpital, qu’on se le dise, c’est souvent un endroit moche où la vie devient du théâtre sans côté cour ni côté jardin pour s’en sortir. À la fin de notre vie, il faut donc regarder au ciel, c'est la seule direction possible. 


Aucun commentaire: