lundi 15 avril 2024

Dessiner

 


J’ai de la chance, c’est certain. Celle d’avoir dans mon entourage une ancienne portraitiste professionnelle qui, avant sa retraite, dessinait le visage de nombreux visiteurs dans une ruelle adjacente à la rue du Trésor à Québec. À mon humble avis, cet endroit touristique a été calqué afin de ressembler au quartier animé de Montparnasse à Paris. Une bien minuscule et pâle copie que les voyageurs savourent quand même sans rechigner. Je ferme la parenthèse et je poursuis, là n’est pas le sujet. J'aime tourbillonner. 

Mon amie a été professeur à la Maison des Métiers d’Art de Québec et partageait son savoir dans un cours de dessin d’observation. À sa dernière visite chez moi, elle m’a laissé un document qui parle de dessiner avec son cerveau droit, d’après le livre et la vision de la papesse dans ce domaine : Betty Edwards. Entre vous et moi, les seules Betty qui me sont venues en tête étaient : Betty Davis, une ancienne actrice américaine, le personnage de la BD ARCHIE et les recettes de cuisine de Betty Crocker. Je tourbillonne fort aujourd'hui ! 

Je reproduis des portraits à l’instinct. J’ai beau essayer en prenant des mesures comme il est enseigné dans les tutorats sur YouTube, je m’y perds. Seul mon pif s’impose et refuse que j’utilise les formes géométriques. Il veut être libre et m’ordonne de laisser glisser mon crayon sans trop réfléchir et… je l’écoute. À chaque fois, j’ai le cerveau vaseux, dans un état second, voire méditatif. Quel bonheur !

Après lecture du document, j’ai retenu que la main gauche est reliée à l’hémisphère droit et la main droite à l’hémisphère gauche (je ne m’en souvenais plus du tout) et que pour dessiner, il faut débrancher notre cerveau gauche (rationnel, analytique) et employer le droit (intuitif et global). C’est ce que le mien arrive à faire naturellement si je laisse toute la place au plaisir et non à la performance. C’est fou comme la peur de ne pas réussir peut me bloquer et ma bête noire s’appelle : les dents !

Toujours à sa dernière visite, l’ancienne portraitiste me demanda, en observant mes dessins déposés un peu partout sur la table :

— Pourquoi tu ne dessines pas les dents dans tes portraits ? Ils ont tous la bouche fermée. 

— Trop difficile. J’ai déjà essayé. Je n’y arrive pas. Les dents me stressent.  

Elle releva lentement la tête et son regard me dévisagea.

— Nicole, des dents ne sont que des courbes et les courbes ne mordent pas.

Je médite encore là-dessus…

jeudi 4 avril 2024

La princesse Juliana et les tulipes d’Ottawa

 

                    Crédit photo: Par Herman Deutman (1870-1926). https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2449255


Il était une fois une princesse qui s’appelait Juliana. Pas Diana ni Kate. Elle était l’unique héritière de la reine Wilhelmine et du prince Henri des Pays-Bas. Sa vie semblait paradisiaque, mais ce n’était qu’un mirage rose bonbon, car elle devait respecter à la lettre une éducation rigoureuse, sévère et protocolaire. Enfant solitaire, sans une fratrie ni amis, elle n’eut qu’une idée en tête : « Lorsque je serai grande, j’aurai une grosse famille ! »  C’est donc à 27 ans, aux Jeux olympiques de 1936, qu’elle rencontra son prince charmant, un Allemand. Un an après, le mariage fut célébré et la maternité ne tarda pas à illuminer son existence. Beatrix montra le bout de son nez, en premier, Irène l’imita l’année suivante.

En 1940, face à l’invasion nazie, l’Altesse Royale, qui avait alors 31 ans, partit avec ses deux fillettes sur le chemin de l’exil pour se réfugier à Stornoway, à Ottawa (maintenant la résidence officielle du chef de l’opposition). Le prince, lui, resta à Londres, afin de coordonner avec la reine Wilhelmine les forces militaires des Pays-Bas avec la Grande-Bretagne. Toutefois, il lui rendit visite plusieurs fois et en janvier 1943, Juliana donna alors naissance à Margriet, en l’honneur de la marguerite, symbole de la résistance hollandaise.

Jusque-là, l’histoire est chouette. Je poursuis.

Juliana, qui considérait sa famille semblable aux autres, décida d’envoyer ses petites chéries à l’école publique et conséquemment, ses filles goûtèrent à ce qu’elle n’avait jamais connu : apprendre et s’amuser avec des amies, demeurer dans une maison de campagne et savourer une certaine liberté. Au Canada, les règles strictes de la cour étaient presque inexistantes et vivre différemment devenait grisant. La famille dégustait le plaisir de se sustenter, tous ensemble, dans une humble salle à manger au lieu d’une immense salle de bal. Comment ne pas apprécier ? Par ailleurs, Juliana ne se croisa pas les bras en attendant que la guerre se termine, elle s’engagea dans la résistance jusqu’en 1945, l’année de son retour dans son pays. Finalement, elle devint reine en 1948. Je vous épargne le reste de l’histoire de sa vie.

Revenons à Ottawa. Pourquoi les tulipes au printemps envahissent-elles la capitale du Canada ? Donnez-vous votre langue au chat ? C’est en reconnaissance aux 7 600 soldats canadiens qui ont péri lors de la libération des Pays-Bas et pour avoir accueilli la princesse Juliana et ses enfants pendant la Deuxième Guerre mondiale durant cinq ans. Ainsi, depuis 1945, chaque année, le gouvernement néerlandais envoie au Canada des milliers de bulles de cette fleur printanière. Ce qui, avec le temps, donna l’idée à la ville d’Ottawa de créer Le festival canadien des tulipes. Cette année, il aura lieu du 10 au 20 mai, 300 000 tulipes y fleuriront le long du canal Rideau.

Il était une fois, une plante vivace, sans odeur, qui repoussait d’année en année à Ottawa, grâce assurément à la reine Juliana !

 

Crédit photo: Site Istockphoto