Il y a deux semaines, un mardi, sous un beau ciel bleu
hivernal, je suis arrivée à la bibliothèque de mon pittoresque village avec la
broue dans le toupet et dans mes mains, trois gros romans. Cette fois-ci, je
n’ai pas enlevé mon manteau noir, celui recyclé en plume d’oie, ni mes bottes. Je
voulais faire vite parce que mon chien était dans sa cage pour deux heures. Le
pauvre souffre d’une encombrante anxiété de séparation. Ne me dites pas que
j’ai trop tardé à le laisser seul, je le sais ! Alors, où en étais-je ? Ah !
Oui ! La bibliothèque ! Je poursuis.
À ma vue, Gertrude, Germaine et Ghislaine, les trois bénévoles
que j’appelle affectueusement les trois « G », s’immortalisèrent, transformées
en statues de sel, derrière leur long comptoir embourbé de livres. Dès lors, je
me suis entendue penser : « Il me semble que je vais avoir des problèmes… Je veux
juste garder “Skida Marink”, roman du prolifique auteur Guillaume Musso pour
le terminer et leur remettre les deux autres ». Malgré mon doute, je me suis
lancée :
— Bonjour mesdames, je vais renouveler seulement :
« Skida Marink » de Musso. Je vous redonne ces deux-là que j’ai fini de
lire. Je vais donc m’en chercher d’autres et je vous reviens.
— Allez ! m’ont-elles chanté en cœur, pendant que l’une d’elles
se dirigea dans la section des nouveautés.
La plus minuscule des ladies « G » plaça mes trois emprunts
sur une montagne de livres, en les mélangeant avec les autres. « Je vais avoir
des problèmes, c’est certain ! », me suis-je dit, la gorge légèrement serrée, le
cœur battant, en sillonnant le premier rayon de bouquins. Après cinq minutes, j’ai
joint : Les soigneuses de l’autrice, Nicole Villeneuve, juste pour
l’époque, l’année 1940 et La symphonie des monstres de Marc Lévy, parce
qu’il a une belle plume et le don de ficeler adroitement ses histoires.
La lilliputienne
dame « G » s’est mis à pitonner sur son clavier, ajoutant :
— Voyons, ça ne fonctionne pas ! Voyons… Lequel livre déjà ?
Comme je l'observais chercher le bon bouquin que j’avais
décidé de garder, j’eus pitié et je refis le perroquet avec un ton en dentelle
et une voix de miel. Il me sembla qu’elle écoutait juste d’une
oreille.
— Bon, bon, non. Bon… C’est correct, ajouta-t-elle.
Après quelques secondes d’un long silence, je l’entendis préciser
:
— Mais je ne suis pas capable de vous donner le petit
relevé, je vous l’imprime sur une grande feuille. Elle se leva promptement, sans
me regarder.
— Pas de problème, ai-je répondu.
Aux pas de souris, elle revint me remettre la feuille, format
lettre, la déposant sur le comptoir et retourna s’asseoir à sa chaise, le
regard fixant son écran. Je n’existais plus. Je n’ai pu m’empêcher de vérifier.
— Madame, les dates du retour de mes emprunts sont
différentes et les livres que je vous ai rendus n’ont pas été enlevés. Ils sont
encore indiqués : renouvelés.
— Pas grave, me lança-t-elle, les yeux comme des
revolvers.
— Non, mais, je pars avec trois livres et sur votre
papier, c’est écrit cinq ! Ça ne fonctionne pas votre affaire !
— Bon, bon, bon, dit l’autre madame « G », celle élancée
comme un céleri, qui avait suivi la conversation légèrement en retrait.
Elle fit quelques pas pour atteindre le comptoir où se
trouvait la grande feuille et avec un stylo, traça un gros X sur les titres des livres
que je lui mentionnais. Ensuite, elle modifia certaines dates de retour.
— Voilà, c’est fait ! s’exclama-t-elle.
— Mesdames, pourriez-vous corriger ces informations à
l’ordinateur et me remettre un nouveau papier ?
— Oui, pour la correction. Non, pour vous en imprimer un
autre, marmonna dame lilliputienne.
— Voyons, je ne vais pas partir avec un relevé indiquant
encore cinq livres, quand, dans mes mains, j’en ai trois !
Dès lors, lilliputienne madame « G », bien installée sur son
trône de fer, regarda sa complice, madame « G », l’élancée, qui, elle, avec un
regard de loup affamé, me dévisagea, en ajoutant :
— Vous n’aurez pas un autre relevé. Celui que vous avez
est suffisant ! Tout est correct dans notre logiciel.
Mon exaspération me parut une éternité, j’ai finalement
répondu :
— Puis-je aller voir votre écran ?
— Venez ! dirent-elles, les bras croisés.
Ce que je fis. Et tout me sembla parfait.
— Alors, si je comprends bien, ce qui importe, c’est
votre écran, pas mon papier ! ai-je conclu.
— C’est ça ! s’esclaffèrent les jumelles
« G ».
— Alors merci mesdames ! dis-je, en abandonnant le
relevé erroné sur le comptoir.
J’avais d’autres chats à fouetter. Toutefois, si un jour, je
fais du bénévolat, je vous annonce que ça ne sera pas à la bibliothèque ! Et la
morale de l’histoire : On ne s’obstine jamais avec de telles ladies ! Peine perdue, leçon apprise. À suivre...
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