Installée inconfortablement sur le banc de bois de la petite
église du village, j’écoute la messe de Noël qui se déroule en latin. J’ai
quinze printemps et nous sommes en 1833, avant la messe, j’ai dû confesser mes fautes
de l’année à Monsieur le curé. Ce fut facile pour les péchés d’orgueil, d’avarice,
de luxure et de gourmandise. Rien à inventer concernant la jalousie, la colère
et la paresse, car l’époque fait qu’on travaille tout le temps, qu’on voit toujours
le même monde et que l’énergie nous manque pour en vouloir à qui que ce soit. Entre vous et moi, je prends souvent les mêmes péchés que les
années antérieures. Je suis certaine que l’homme en soutane ne s’en souviendra pas. Comme le petit catéchisme ne sera
inventé qu’en 1885, je peux encore me la couler douce avec les commandements de
l’église. Ce soir, je placerai mon vieux bas habituel au-dessus de mon lit. Si j’étais
en 1930, nous aurions un arbre décoré et comme étreinte une orange,
mais ce fruit est beaucoup trop exotique à trouver en région, donc une pomme, j'accueillerai. Alors, passons
aux choses sérieuses, qui se fiancera cette année ? Je respire fort, je tourne
la tête vers la gauche et…
Je me retrouve en 1973, le banc d’église à Arvida est
toujours aussi dur pour mes fesses de jeune adolescente renfrognée. La messe de minuit est en français
avec des chansons entre les prières. À gauche, il y a une crèche vivante,
Monsieur Frigon et sa femme personnifient Joseph et Marie, pas de bœuf ni d’âne,
mais leur petit Jésus pleure tout le long de la célébration malgré les chants de la chorale. Perchée en haut, à l'arrière de l'église, ma cousine Édith Tremblay qui fait une carrière lyrique
en Europe chante le Minuit chrétien. Tout le monde se détourne en même
temps pour l’admirer, impossible de ne
pas l’applaudir. Sa voix exceptionnelle de soprano rend ma mère, toute ma
famille et les croyants au Nirvana. Les anges existent, je ressens leur beauté à travers sa
voix. Elle décédera le 2 juillet 2021, le cancer l’emportera vers ses parents, Josette
et Louis. J’ai cru entendre, entre les branches, que sur le nuage de Pavarotti, elle chantera le Ave
Maria de Gounod. L’immortalité a trouvé sa voix. Je tourne la tête vers la
droite et…
Noël 2033, j’ai 71 ans. Les églises catholiques sont toutes
fermées depuis des lunes. Ce sont maintenant des salles de spectacles ou des
condos. On parle davantage de survie de l’humanité que de spiritualité. L’environnement est devenu une religion. Nous sommes rendus au 235ième variant
de la Covid-19, un peu comme les ouragans, ils vont commencer à manquer de noms. C'est parce que les
pays pauvres sont toujours oubliés volontairement de la vaccination que le monde tourne en rond. Nous
utilisons maintenant les hologrammes pour nous visiter, c’est très tendance et
sécuritaire. J’ai décidé de sortir un vieux CD de ma cousine Édith pour surprendre mes petits enfants, ils sont difficiles à épater, vous savez. Je
n’oublierai pas de leur lire sa citation :
‘’J’avais un coffre débordant de souvenirs,
Un jour, je pris la clef posée sur la serrure,
Je l’ouvris et découvris toute la mesure
D’une longue vie remplie de joies et de rires,
De beauté, de peines, de pleurs et de beaux chants,
Il fallait bien que je partage sur le champ
Tous ces trésors avant qu’ils ne se dispersent
Dans le vent des jours qui lentement nous bercent
Dans le temps de l’oubli
Dans le temps de l’infini. ‘’
Chers petits-enfants, ad vitam aeterman, la beauté traverse les époques, un peu comme les variants.